Quitter la peur, voilà un bon moment que je suis avec ce thème que j’explore sous l’angle émotionnel, corporel, des histoires personnelles et des traumas petits ou ou grands, des relations et de l’organisation de la société.
Envie de partager sur ce thème en ce moment où la peur s’invite : parce que nos repères sont bousculés, parce que nous vivons des situations anxiogènes dans ce confinement qui nous prive de notre liberté de mouvement et de contact, parce que certains vivent l’isolement, d’autres la violence banale, psychique ou physique, d’autres le deuil, ou d’autres encore sont plus exposés à un danger, mais aussi parce que l’avenir est incertain, que ce soit à court terme ou à long terme….
Et puis parce qu’en situation de peur, nous sommes vulnérables. Et en situation de vulnérabilité, nous pouvons être pris dans la confusion, voire dans la sidération, et en situation de confusion et de sidération, alors nous sommes très facilement « disponibles » pour être victimes d’abus de pouvoir. ( en témoigne le très bon documentaire « la stratégie du choc » de Naomi Klein sur les prises de pouvoir totalitaires suite à des chocs nationaux quels qu’ils soient).
Je pense à l’après confinement. Quelle capacité aurons-nous à agir, individuellement et collectivement? Il me semble urgent et indispensable d’avoir l’esprit clair et toute la disponibilité pour construire un monde résilient et rester lucide sur les dynamiques de pouvoir en place dans nos systèmes d’organisations. Et pour cela, il nous faudra quitter les peurs qui nous habitent. Non, non, ne pas les oublier, les cacher, les ranger au fond d’un tiroir, ou les surmonter par notre volonté, mais bel et bien aller les voir, les rencontrer, ouvrir les yeux, face à elles, trouver l’espace de les accueillir, de les chérir amoureusement, de dire, d’exprimer, pour pouvoir les vivre afin qu’elles se transforment. Les vivre dans notre chair, les sentir dans nos corps, pour qu’elles se dissolvent et ainsi n’encombrent pas nos pensées, nos ressentis et nous laisse toute notre capacité d’action.
Mais comment faire? D’abord, quelques explications du fonctionnement de la peur.
La peur est déclenchée par un danger. Elle peut être générée par une situation immédiate de danger dans le présent (par exemple un accident, une chute, une attaque) où tous nos sens se mettent à l’affut, et nos organes vitaux en fonctionnement optimal pour agir au plus vite, ou par une sensation de danger. Cette sensation de danger, plus diffuse, peut être provoquée par ce qui est dans le présent (par exemple : j’entre dans une pièce, et je sens mon cœur s’accélérer, la chaleur qui monte et un sentiment de malaise), mais aussi par l‘imaginaire, la mémoire, la pensée.. (on a tous eu peur d’une araignée, et pensé qu’elle mesurait 10 cm quand elle en mesurait 1, ou encore certaines situations comme marcher la nuit seul, se retrouver face à certaines personnes qui inconsciemment nous rappelle des situations anciennes déjà vécues : sans qu’on puisse l’identifier, on se sent que quelque chose ne tourne pas rond..).
C’est là où nous pouvons agir : la plupart d’entre nous avons gardé en nous un certains nombre de peurs, sans le savoir, et sans même le sentir. Et cela nous met des ornières, nous empêche de voir la réalité (et donc le danger) telle qu’elle est vraiment. La plupart d’entre nous agissons dans un référentiel qui est emprunt de peur, qui crée des comportements rigides pour rester en sécurité et cela limite notre action dans le monde. En effet, les systèmes dans lesquels nous évoluons depuis petits sont des systèmes construits sur l’autorité et non sur la coopération, que ce soit l’école, les institutions ou le modèle parental en général. L’autorité est basée sur un pouvoir qui n’est partagé, ou pas équitablement. Dans cette autorité, on apprend les chemins de » ce qu’il faut faire », et non de ce que l’on sent, de ce que l’on pressent, de notre pensée singulière ou de action propre. Et c’est la peur qui s’invite : peur de déplaire, peur de ne pas convenir, peur d’être différent, peur de ne pas avoir ce qu’il faut pour survivre (amour et subsistance) si l’on ne suit pas le chemin proposé, peur des représailles physiques ou psychiques dans certains cas.
Alors comment faire pour quitter ces peurs?
En cas de peur, c’est le même phénomène qui s’enclenche dans notre corps. C’est notre corps qui décide en premier lieu, l’information va direct activer le système nerveux sans passer par la réflexion car il faut agir vite. L’être humain utilise quatre chemins possibles pour réagir face à un danger, tous issus de l’évolution phylogénétique.
En tant qu’humain, animal social, et dernière évolution phylogénétique en cas de peur, nous allons d’abord « négocier« , trouver une solution avec ce qui nous fait peur. Cela est possible en utilisant notre cortex, notre raison et agissant à partir d’un endroit de sécurité intérieure. Cela n’est pas possible en général, avec un système ou dans le cas d’un pouvoir qui n’est pas équitablement réparti.
En second , si négocier ne fonctionne pas, on va combattre. L’énergie va monter, le sang affluer dans les muscles, grâce à un système bien combiné système nerveux, système hormonal qui vont envoyer toutes les informations dans notre corps, en ne passant pas par le cortex. Cette énergie est un puissant catalyseur pour l’action. Dans notre société, en tant qu’enfant, cette énergie est qualifiée de colère, et est souvent peu reçues : « il/elle est colérique », alors que c’est juste la puissance de l’expression de soi qui prend le chemin de l’expression et qui est en train d’apprendre les limites de soi et l’altérité, pour aller vers la solution de la négociation. Ce mouvement arrêté, les enfants choisiront les solutions suivantes. En tant qu’adulte, nous gardons la trace de ces mouvements de défense de notre territoire non résolu dans notre corps, si la réponse qui n’a pas pu se terminer, sous la forme première ou sous une autre forme d’expression plus appropriée ou dans un autre contexte sécurisé (jeu, thérapie, sport, conscience…)
Si combattre est inenvisageable ( si je suis par exemple face à un lion, ou à un adulte ou un système qui a plus de pouvoir que moi), alors on va prendre ses jambes à son cou et fuir. A ce moment là, de la même manière, le sang est amené au cœur et aux muscles pour courir 3 fois plus vite que d’habitude. En étant enfant, fuir de chez soi est improductif puisque nous avons besoin des adultes pour survivre. Par la-même, notre corps garde en mémoire ces moments, où de peur ( d’être grondé, de ne pas être accueilli…) nous n’avons pas pu fuir, et la peur reste stockée.
Et puis, si fuir est inenvisageable, alors l‘ultime solution est de se couper de ses sensations. Ne plus sentir, faire le mort, se figer. Là, la mémoire nous fait alors défaut, c’est pour cette raison que des victimes de violence ne s’en rappellent plus, mais le corps lui se souvient, les informations nerveuses , les toutes premières, qui ont détecté le danger sont toujours là, le cerveau limbique a bien retenu l’expérience, mais notre cortex ne l’a pas amené à la conscience . Le corps n’a pas pu engager une réponse en action, alors l’information reste en mémoire dans les tissus, jusqu’au moment où elle a l’espace pour s’exprimer, et où le cortex en prend conscience.
Et c’est là, dans ce figement, dans cette coupure de nos sensations, nous perdons notre pouvoir, notre puissance. Et rentrons dans un cercle vicieux : je ne sens pas, donc j’exprime de moins en moins qui je suis, donc je sens de moins en moins… Adulte, nous gardons ces peurs d’enfant liées au fonctionnement sociétal, si nous ne les avons pas déchargées par le corps et mises en lumière, en les laissant s’exprimer dans des endroits où nous avons pu les sentir et les laisser se transformer en sécurité, que ce soit en thérapie, en cours d’art martial, en dansant, en dessinant, en retraite…
Comme ces peurs ne sont pas conscientes, puisqu’elles sont au niveau du système limbique si nous n’y prêtons pas attention, nous ne voyons pas que notre périmètre se rétrécit, jusqu’au jour où, peut-être nous nous sentirons trop à l’étroit, jour qui n’arrivera peut être jamais selon le degré de sidération dans lequel nous nous trouvons.
Apprendre à sentir, là est la clé. Sentir le corps pour laisser se transformer, sentir les émotions, comme une boussole qui nous indique ce qui est présent, et voir les croyances qui s’y sont construites. Peu à peu, pas à pas, et laisser le corps terminer les mouvements de réponse aux situations de peur qu’il a gardé en mémoire se terminer, dans des espaces sécurisés, par l’expression et le mouvement, pour retrouver un champ attentionnel plus vaste. Ré-élargir nos points de vue.
Alors que se passe-t-il dans cette période de confinement? Chacun avec ses peurs. Le besoin primaire de contact, de toucher, qui nous nourrit, qui nous régule, qui donne ne sens de nous même mais aussi le sens de l’autre, est mis à mal. Ce contact, cette proximité, cette chaleur humaine qui nourrit le soi et l’altérité. Notre confiance dans la stabilité, dans l’abondance pour maintenant et pour le futur, questionnée. Et bien d’autres peurs encore.
Chacun avec ses peurs, et si nous les laissons nous amener dans le figement, dans la sidération, nous sommes perdus.
Osons sentir ce qui nous traverse, osons trouver du soutien quand nous en avons besoin, une oreille, un réconfort, un câlin (pour ceux qui sont confinés à plusieurs). Osons nous exprimer, en mots, en mouvement, en créativité, pour que ce figement ne reste pas à figement et se transforme en mouvement, seul moyen de libérer nos tissus et notre système nerveux de la peur qui nous a traversée. Osons dire et partager nos vulnérabilités, pour partager notre humanité.
Et alors seulement là, nous serons capable de clarté, de lucidité, d’action, de prendre en charge notre vie, de prendre notre pouvoir et construire un monde qui respecte toute forme de vie, à l’image de la manière dont nous respectons la vie à l’intérieur de nous-même.
Pour plus d’info sur la résolution des peurs et des traumas petits et grands, voir notamment « Réveiller le tigre » de Peter Levine, et la Somatic Experiencing.