Toucher, confusion, séduction et contact improvisation

Notre société occidentale ne nous éduque pas au toucher.

Ou plutôt elle nous y déshabitue, dès petit.

Le toucher en devient cantonné :

– aux espaces de soin (vers les enfants, les malades, les personnes âgées, les personnes non valides, ou toutes celles qui ont besoin de soin ou d’aide),

– aux espaces amoureux sensuels, sexuels,

– aux espaces de camaraderie dans les sports d’équipe,

– ou encore aux espaces de bagarre.

Les personnes éduquées comme filles seront plutôt orientées vers les espaces de toucher qui prennent soin, tandis que les personnes éduquées comme garçons seront plutôt éduqués vers les espaces de toucher vers la bagarre ou la camaraderie dans les sports d’équipe.

Les espaces de toucher entre filles et garçons sont souvent très tôt orientés vers une forme normée «  amoureux » (le classique amoureux ou amoureuse dès la maternelle). Et alors les filles et garçons, qui deviendront plus tard hommes et femmes ou d’un autre genre n’ont comme apprentissage dans leur relation tactile seulement l’espace de la séduction, qui emmène vers la sensualité, la sexualité.

En contact improvisation, nous partageons notre poids, à travers le contact dans le toucher. Ce point de contact évolue dans le mouvement. Il y a différentes qualités de toucher qui permettent d’accéder à différentes qualités de partage de poids, pouvant nous amener à chuter, rouler, bouger, voler, ensemble, dans une désorientation qui se réoriente en continu, plus ou moins lente, plus ou moins dynamique.

Alors nous y (ré)apprenons toute une palette de touchers, qui vont impliquer différentes perceptions de notre corps en mouvement, à travers nos récepteurs sensoriels, que sont les propriocepteurs des muscles, des tendons, des fascias, des os qui nous informent sur où nous sommes et comment nous bougeons, à travers notre oreille interne qui nous informe où est le sol, à travers nos récepteurs de la peau qui nous donnent la pression, l’humidité, la température, à travers les intérocepteurs de nos organes.

Le toucher est l’un des premiers sens qui se développe, dès in utero, en même temps que le mouvement. Il est fondamental dans notre développement. Revenir au toucher, au mouvement, dans nos perceptions peut rouvrir nos possibilités dans la vie, fermées peu à peu par notre éducation, nos habitudes, notre histoire de vie.

« L’expérience du mouvement et du toucher est fondamentale dans la découverte de qui nous sommes, de qui est autre, et de comment nous dansons cette vie ensemble.(…)

Quand l’expérience du mouvement est intégrée dans notre éducation, notre perception de nous-même et du monde change (…)

Le Contact improvisation est un exemple éclatant de cette ouverture de nos perceptions et par conséquent de nos options, de notre sensibilité, de notre conscience, de notre capacité à réagir, et à avoir un sentiment de réussite vis à vis de nous-même et de la communication que nous avons avec notre partenaire. »

( Bonnie Bainbridge Cohen, dans Sentir, Ressentir, Agir)

Alors en pratiquant le contact improvisation, nous réinvitons ce champ des possibles. Sentir son corps en mouvement, en contact, jouer et s’orienter avec ses sens, comme le ferait un enfant qui découvre comment son corps bouge dans son environnement. Qui apprend à prendre confiance dans ses appuis et dans l’interaction avec l’environnement physique et humain.

Cet espace qu’offre le contact improvisation est précieux par sa rareté, son intention de cultiver la présence, l’écoute, dans le mouvement improvisé. On y goute la possibilité de se sentir, ensemble, juste être là, jouer ensemble, développer une palette de mouvements, de touchers, plus sensible, pleine de reliefs, de singularités, de possibilités, en dehors de notre éducation.

Il nous invite à être créatif pour s’écouter, pour s’accorder. Et à sortir des normes sur le toucher dans lesquelles nous sommes éduqués, en développant un toucher dans la gamme du sensoriel, qui soutient l’écoute, l’accordage, le respect de notre intégrité.

Alors au début, quand on découvre la pratique et qu’elle nous plaît, tout s’ouvre.

Les frontières sur notre rapport au toucher se déplacent, se transforment, se questionnent.

Notamment quand l’accordage se fait, et que cette personne pourrait nous plaire. Où est-on alors ? Dans la séduction ? Dans l’énergie qui circule ? Dans la sensualité ? Dans la pratique ? Dans le partage de poids ? Dans l’improvisation ? Dans juste se faire plaisir ? L’espace devient confus.

Après une quinzaine d’années de contact improvisation, et de nombreux échanges, je crois que nous traversons (presque) toustes ce moment de confusion, ce questionnement : où est la limite quand notre corps s’ouvre et s’abandonne à la relation dans le toucher et le mouvement ? Quand cela devient-il un espace de sensualité ?

Je suis particulièrement sensible à ce sujet, pour avoir été « cueillie » lors de ma première soirée d’atelier/jam, où mon corps exultait de joie et de libération d’avoir trouvé ce qu’il attendait sans le savoir, par une personne qui m’a ensuite suivie, dans le vestiaire, le métro, puis chez moi, profitant de la confusion sensorielle d’une néophyte ravie, et que cette relation se sera prolongée dans une relation malsaine perverse durant presque 10 ans et qu’elle aura laissé mon cerveau en sidération pendant quelques années plus encore.

Au début, je ne pouvais que confondre la libération que j’avais sentie dans mon corps en dansant avec ce qui m’avait été appris dans l’éducation : le toucher entre homme et femme avec une connexion, c’est forcément une relation amoureuse ou de la séduction.

Eh bien les années passant, nous apprenons à reconnaître que non. Nous pouvons avoir une immense connexion dans le toucher, sentir toutes nos cellules vibrer, se sentir être ouvert à un espace plus vaste ensemble, se sentir profondément vivant et connecté, comme dans ce qu’on trouve d’habitude dans les relations d’amour, simplement dans la pratique., sans glisser vers l’espace de la sensualité. Parce que nous y cultivons la présence dans l’instant, l’écoute, la créativité ensemble.

C’est en cela qu’elle est riche. Elle réinvente des modes d’être ensemble, en improvisation. Elle cultive notre autonomie et notre capacité à être en relation comme on est, dans notre corps à l’instant. Elle nous offre la possibilité d’élargir notre palette relationnelle, sensorielle, d’être plus pleins, singuliers, de cohabiter et s’accorder ensemble dans nos différences.

Aussi, tout cela, je crois que je l’ai trouvé de manière très claire dans la pratique du Body Mind Centering, parce que les rôles sont clairement définis dans les moments de toucher, et que ce ce toucher est d’abord dans une dynamique d’apprentissage de nos perceptions, des différents tissus. Qu’on y nomme, et l’on y confronte nos sensations, nos ressentis. On y apprend à savoir où l’on est

Alors pour permettre à cette richesse pleine de vie d’advenir en contact improvisation, il nous faut créer des conditions pour permettre d’éviter de se cantonner endroits auxquels la société nous a assignés dans nos pratiques de toucher : fuir la séduction, fuir l’inconfort et la douleur, fuir le pouvoir sur, fuir l’asservissement.

Pour soutenir cet espace de pratique, nous pouvons :

  • Favoriser un espace où nous sommes des corps vivants et bougeants avant d’être des corps sexués
  • Favoriser un espace où nous sommes responsables de suivre nos besoins et limites et de pouvoir se le dire sans enjeu et en s’écoutant
  • Favoriser un espace où nous sommes coresponsables de créer les conditions et l’espace soutenant pour l’émergence de la pratique.

Plus encore, il est indispensable de créer les conditions de sécurité physique et psychique des personnes qui partagent l’espace. D’être responsable ensemble, de ne pas dépasser les limites fixées.

Alors que faire quand le désir sensuel arrive dans une danse ? Car oui, il peut nous traverser, et il va nous traverser, car nous sommes des êtres vivants, mammifères humains, avec des sens vivants. Et que l’intimité que l’on vit dans le contact improvisation ouvre parfois ses portes.

A ce moment là, on peut DECIDER de ne pas le cultiver.

Ne pas cultiver l’endroit de la confusion, qui est toujours le premier pas dans la manipulation.

Utiliser la «  tension » du désir dans le mouvement, plutôt que s’engouffrer dans la sensualité.

Revenir au sensoriel, avant l’interprétation de signaux.

Transformer l’énergie, transformer la danse, réorienter le mouvement ou la qualité de toucher, changer de tonus.

Ou voire même la quitter si ce désir subsiste et ne se transforme pas.

Et puis quand on est néophyte, aller en parler avec quelqu’un de plus expérimenté

Et quand on est plus expérimenté, soutenir ces conditions de sécurité en ne s’engouffrant pas dans la confusion que créée cette explosion sensorielle des premières années.

Un point de vue, parmi d’autres, dans cette pratique multiformes.

Alice Browaeys – 19 décembre 2023

Merci aux personnes avec qui nous avons échangé sur ce sujet et la pratique, de nombreuses fois et qui ont contribué à l’élaboration de cette pensée.

Ces émotions parfois trop intenses…

J’ai passé des années à me demander comment faire avec mes états émotionnels et mes humeurs.

D’abord en les subissant, en me demandant ce qui clochait chez moi, à me dire que je n’étais pas normale (ce qui a fini par me faire commencer une thérapie).

Puis en les appréhendant, en les écoutant, à passer des mois, année après année, à écouter chaque sentiment et à aller chercher quel besoin s’exprimait derrière.

Puis à les sentir, dans mon corps, où est ce que ça se situe dans mon corps, ce que je sens, ce que je ressens.

Puis à faire dialoguer toutes les émotions contradictoires, à faire trouver un terrain d’entente à toutes ces parts intérieures antagonistes, qui créaient de la tension en moi.

Puis à les laisser être dans une créativité, sans les analyser- ou en les analysant moins- les laisser être dans la danse qui s’exprime, les laisser être en dessin, les laisser être en mots, en écriture automatique.

Apprendre à laisser circuler, à ne pas juger. A regarder le flot des émotions comme je regarderai une rivière en crue : le flot qui déborde va-t-il m’emmener ? Vais-je mourir de cette intensité ? Et si je regardais plutôt l’arbre qui est solidement planté à côté de cette rivière en crue ?

Et puis je n’en suis pas morte.

Alors je continuais à apprendre à sentir, ressentir.

Et puis au fur et à mesure, je comprenais dans mon expérience que ce n’était qu’un flot d’informations que mon corps, mon système nerveux avait emmagasiné, et qui était restée coincé. Coincé dans mes tissus, coincé dans mes nerfs, coincé dans mes fascias. Allons savoir pourquoi… Finalement peu importe l’explication, c’était là, et il fallait y porter de l’attention.

Et comme c’était coincé, figé, une certaine chimie du corps se mettait en marche. Une chimie hormonale, qui crée les ambiances d’humeur. Et qui faisait que toujours je sentais le désespoir, la lassitude, la tristesse, alors même que la joie et la confiance attendaient au portillon. Et tout cela se matérialisait par un cocktail d’hormones, équilibré pour mon corps tel qu’il était à ce moment là, avec ses restrictions, ses habitudes. Avec ses pensées qui favorisaient tel ou tel cocktail.

Alors je laissais mon système nerveux «  décharger ». Décharger le trop plein d’informations sensoriel senti à un moment. Décharger par le corps qui s’exprime, en larmes, en tremblements, en rire, en bâillements, et puis parfois en imaginaire, en mouvement. Souvent en présence d’un témoin qui était avec moi, comme une présence aimante et sans jugement (en thérapie ou dans des pratiques qui favorisent la corégulation, comme le mouvement authentique), ce qui me permis d’apprendre à m’aimer avec tout ce qui se passait en moi et de développer un témoin intérieur.

Et puis au fur et à mesure je compris cette chose si simple : notre corps enregistre toutes les informations sensorielles. Ces informations sensorielles, une fois connectées à notre cerveau, deviennent des informations émotionnelles. Et nos émotions façonnent la chimie de notre corps. La chimie de notre corps façonne nos humeurs.

Alors la simplicité m’apparut pour cultiver un autre équilibre en moi : il n’y a qu’à laisser aller le trop plein d’informations sensorielles. Pas besoin de comprendre, de m’identifier, d’analyser. (encore qu’il me semble parfois que la remise en question est nécessaire dans d’autres contextes).

Simplement mettre en mouvement le corps , et laisser le système nerveux autonome faire circuler les informations électriques dans mon corps. Laisser cela bouger, sans juger, sans analyser, sans imaginer, sans se projeter pour nettoyer ce trop plein d’informations. Faire de l’espace pour libérer ces trop plein d’informations. Et surtout créer les espaces sécurisés pour les laisser aller.

Les organismes vivants, vont naturellement vers la vitalité, l’équilibre, la coopération. Le corps humain n’en est pas une exception.
Sommes nous malades de nos pensées ?

Comment nos pensées peuvent-elles être au service du vivant, en nous et autour de nous ?

J’ai fini, avec par renommer mon cerveau : le planificonteur : celui qui planifie, et celui qui imagine. Mais pas celui qui décide!

En aucun cas je ne souhaite que ce soit lui qui prenne les décisions premières, qui sont de l’ordre de mon coeur et de ma chair.

C’est ce qui me touche profondément dans certaines pratiques de danse, d’improvisation, ou les pratiques somatiques : cet espace où être soi tel que l’on est, dans sa singularité du moment. De laisser aller ce qui est là, dans le corps, tout en étant attentif à l’espace partagé. Être et créer ensemble à partir de l’espace de la sensation.

Le soi d’hier n’est pas le soi d’aujourd’hui, ni celui de demain. Nous avons, dans la présence à la sensation, l’espace possible du changement et de la non fixité dans nos mouvements, dans nos attentes, dans nos croyances.

Alors dansons, vivons, attentifs à nos sensations, à l’instant présent 🙂

PS vous voulez aller plus loin sur ce sujet? Je propose un cycle de 4 ateliers en ligne du 13/11/20 au 4/12/20 cycle d’atelier/formation « Régulation émotionnelle, sensibilité et système nerveux »

Construire une sécurité intérieure

Dans le post précédent ( quitter la peur, des pistes par le corps et l’expression), j’évoquais comme hypothèse que pour se libérer de la peur, c’était l’accueil de ce qui est présent dans le ressenti et le laisser faire dans le mouvement qui permettaient de laisser la peur se dissoudre. Un accueil plein d’amour et de curiosité, comme un parent bienveillant avec son jeune enfant le ferait.

Dans l’accueil de ces peurs, nous nous ouvrons à nos espaces de vulnérabilité.

La rencontre de ces espaces ne peut se faire que dans des conditions où nous nous sentons en sécurité, où nous pouvons nous détendre, ne serait-ce que d’un petit pourcentage. L’endroit où parfois le soupir arrive, où la détente s’invite, où la vigilance tendue peut se relâcher.

Si nous nous sentons confiant, en lien avec nous-mêmes, en sécurité, nous pouvons faire l’expérience de cette sensation de peur, l’accueillir, en solo. Il suffit alors d’ouvrir son attention à ce qui présent, de faire de l’espace, accueillant, plein d’amour et curieux, et d’être témoin de ce ressenti et de ce mouvement, qui agit au delà de notre volonté, dans nos cellules. Nos cellules savent très bien suivre le courant de la vie, de la vitalité. En témoigne tout le mystérieux processus du vivant qui fait que nous sommes issus de 2 cellules qui se rencontrent, puis s’attirent, puis créent un contour, puis font de l’espace, puis s’attirent, créent un contour, font de l’espace…et nous voilà adultes… Les pratiques méditatives, en immobilité ou en mouvement sont un excellent support pour aller à cette rencontre de cet accueil et de cet espace.

Mais quand à l’intérieur, nous ne nous sentons pas suffisamment en sécurité avec nous-mêmes ? Cela peut se traduire par un stress latent,  de l’hyperactivité, de l’hypoactivité, de la confusion, une dévalorisation ou un manque de confiance en soin, de l’autosabotage…), c’est que le soutien intérieur n’est pas encore construit ou a été ébranlé par un évènement dans notre vie.

Il n’y a que nous-même qui puissions SENTIR si nous nous sentons en sécurité, si nous nous sentons suffisamment bien, pour nous ouvrir à cette vulnérabilité. Cela est un ressenti, et pas une logique qui devrait être rationnelle. C’est notre système nerveux autonome qui nous le fait sentir et nous n’avons pas de prise la dessus au niveau de notre pensée. Et c’est là, dans cet endroit de confiance,  où nous pourrons nous abandonner à ce ressenti. Ce n’est qu’à partir de cet endroit là que nous pourrons nous ouvrir au ressenti de la peur, et aux mouvements qui en émerge.

Alors peut se mettre en place un cheminement, pour reconstruire cette sécurité intérieure.

Dans ce cheminement, la première étape, préalable à toute chose est de goûter le support, le soutien.  Ce qui nous soutient est dans notre lien à notre environnement. A la fois physique : comment nous pouvons nous déposer, nous détendre, dans un repos, sentir comment la terre nous porte dans un rapport à la gravité ( voir relaxation  » être accueilli par la terre« ). Mais s’incarne aussi dans le relationnel, en lien avec une personne qui pourra être notre témoin, nous voir avec amour, neutralité et bienveillance. Là, nous pourrons faire l’expérience à la fois de rester présents à nos sensations, peut-être commencer à nous détendre, en relation, et aussi, du soutien que l’on peut sentir dans une relation. Il ne s’agit pas d’agir par la volonté, mais de vivre ce soutien, de s’autoriser à le ressentir, de gouter intérieurement peu à peu, pas à pas… Et cela se fera uniquement si notre système nerveux autonome le sent, au delà de notre envie ou de notre analyse ou rationalisation.

« A force de ne pas être suffisamment vu, ou vu avec suffisamment de tolérance, d’amour, de conscience, demeure en nous, une fois adultes, le désir d’être vu par l’autre. Il existe, en occident notamment, un besoin profond d’être vu tels que nous sommes, dans la simplicité de nos actes. Nous y parvenons parfois, lorsque nous sommes prêts à grandir dans l’amour, le pardon, dans l’acceptation de nous-mêmes et des autres. » ( Janet Adler). Voilà de quel type de soutien relationnel il s’agit.

C’est là que notre système nerveux autonome goûte alors la sécurité. Cela se fait par capillarité, par écho, par contamination avec un autre système nerveux régulé. Peu à peu nous apprenons à faire confiance, à nos ressentis, sous le regard bienveillant d’une autre personne. Et peu à peu nous faisons grandir notre témoin intérieur, celui même qui nous permet de construire une confiance en nous.

« Le témoin intérieur apprend à accompagner le corps dans les formes que va prendre le soi en mouvement, découvrant peu à peu sa vérité. Il apprend à reconnaître ce que le corps sait directement. Le corps est notre sensation, l’émotion que nous ressentons. Le corps est notre expérience de nous-mêmes, le temple dans lequel brûle la lumière de notre esprit » (Janet Adler).

Tranquillement, peu à peu, pas à pas, un soutien intérieur, c’est à dire une confiance en nos ressentis et nos capacités d’agir et être au monde vont s’installer. Peu à peu nous aurons de moins en moins besoin de la relation extérieure bienveillante  pour faire miroir à la bienveillance et à l’amour habitent en nous, et pourrons goûter la confiance et la sérénité. Peu à peu, nous pourrons transférer ces nouvelles compétences, ces nouvelles ressources, dans notre vie quotidienne, en nous confrontant aux aléas de la vie, et observer que nous pouvons plus oser nous exprimer, prendre des risques, dire nos limites, et constater que nous arrivons à nous ressourcer.

Je crois que nous avons profondément besoin les uns des autres pour grandir ensemble, sortir de nos peurs, nos manques de confiance. Offrons-nous de vivre des pratiques, des espaces où nous partageons bienveillance et accueil plein d’amour. De nombreuses pratiques existent dans ce sens, où l’espace du cœur est présent. Et cela me semble un véritable atout pour construire un monde plus résilient.

Dans ces pratiques, un cadre contenant et clair permet que chacun puisse s’autoriser à se déposer et à se dire, dans un espace bienveillant et sécurisant. Nous avons besoin de reconstruire ces habitudes de voir sans jugement, que ce soit nous-même ou l’autre, car nous n’y sommes pas habitués dans notre société et dans notre système éducatif. Petit à petit, ces habitudes se construisent en nous, et le cadre pourra devenir de plus en plus flexible, jusqu’à ce qu’il soit de plus en plus intégré intérieurement.

Je citerai comme ressources quelques pratiques que j’ai traversées,  que ce soit des pratiques thérapeutiques, de corégulation ou d’espaces de connexion à soi, avec  un témoin engagé dans la présence au corps et à l’expression de soi :  communication non violente, le dialogue des multiples aspects intérieurs, le mouvement authentique, réévaluation par la coécoute, mais aussi dans certaines pratiques de mouvement improvisées qui explorent selon les praticiens avec témoin ( Life/Art Process, contact improvisation…). On peut aussi trouver des résolutions dans cette confiance à l’autre  et en soi dans des pratiques de vie collective, que l’on peut vivre dans des espaces corporels comme dans les pratiques somatiques, ou dans des espaces plus en lien avec la vie sociale comme dans la sociocratie,  l’holacratie, ou des expériences anarchistes, ou encore dans ce qu’on appelle la permaculture humaine.

Bonnes explorations à vous!

 

Liens ressources en écho :

 

 

Quitter la peur, oui mais comment faire? Des pistes par le corps et l’expression.

Dans le post précédent, je partageais à quel point nous avions besoin de nous libérer de nos peurs, qui nous empêchent de prendre tout notre pouvoir et de construire un monde résilient.

Très bien, mais… quand on a peur, on a peur. Et ça ne se décide pas de ne plus avoir peur. La bonne nouvelle, c’est qu’en laissant vivre notre ressenti dans le corps, dans un contexte sécurisé, on peut la transformer, puis transformer dans nos croyances, nos comportements, et changer nos repères intérieurs pour développer la confiance.

Alors voici quelques repères (non exhaustifs, et vus à travers mon filtre, issu de mon cheminement, de mes rencontres, échanges et lectures  – liste de ressources en bas de page) pour cheminer dans cette libération intérieure, vers la libération collective.

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  1. La peur est ancrée dans le corps => 1ère étape :  se connecter à ses sensations corporelles, à notre conscience corporelle. Plein de chemins existent pour gouter la conscience du corps en mouvement : on pourra citer certaines pratiques de mouvement en présence comme le yoga, le Qi Gong, les arts martiaux, la danse sous différentes formes…
  2. Une fois que l’on a ouvert la porte vers le corps, 2ème étape  :  apprendre à sentir son corps ici et maintenant et nouer un dialogue, une relation singulière avec lui.  Ici, il s’agit d’allier présence au corps en conscience, et apprentissage à partir de notre corps en mouvement et dans la relation au monde, de notre corps ressenti, de notre corps vécu. C’est notre corps lui-même qui nous enseigne et nous propose des chemins, des réponses qui sont au service de la vie. Les pratiques d’éducation somatique notamment ouvrent un champ qui permet d’aller rencontrer corps et conscience et de se réapproprier un processus d’apprentissage qui part du vécu : Feldenkrais, Body Mind Centering, Technique Alexander, Rolfing, certaines pratiques d’improvisation dansée, notamment le contact improvisation… Certaines pratiques de présence, comme par exemple le Focusing,  le systema ( art martial russe basé sur l’improvisation et l’écoute) ou la communication non violente (si elle passe par un aspect de présence corporelle)  viennent nourrir cet espace de conscience à ce qui est présent dans l’instant. Là est la clé : être avec ce qui est là, apprendre à l’accueillir avec curiosité et amour (voir la video d’Isabelle Padovani sur la « restabilité » comme ressource sur ce thème).
  3. Puis maintenant que nous sommes en lien avec ce qui est présent maintenant dans notre corps : 3ème étape : laisser le mouvement se faire, dans son chemin singulier. Ici il s’agit que le mouvement de peur qui n’a pu se terminer dans son expression et qui est resté stocké dans notre corps, dans nos tissus, puisse trouver un chemin pour s’exprimer,  qui fera résolution. C’est le mouvement de vie de notre corps qui s’exprime naturellement. Ici, en particulier, les pratiques de mouvement libre, improvisation, et conscients ouvrent cet espace : mouvement authentique, improvisation dansée, contact improvisation, mouvement régénérateur, danses thérapies… mais aussi l’expression par le dessin, l’écriture, ou toute autre forme créative sans intention peuvent permettre ce mouvement.
  4. Le mouvement se fait , et là s’ajoute une 4ème étape : il importe de mettre en lumière et de relier cela à son vécu au niveau mental, de mettre de la conscience, pour transformer nos croyances. Harmoniser le niveau mental, ce que l’on perçoit de soi, avec le niveau physique.  Ne plus croire que  » nous sommes comme-ci », ou « nous sommes comme cela ». Certains schémas de réponse nous ont sauvé la vie (ne pas sentir quand c’est trop intense pour que notre système cardiaque puisse le supporter, par exemple, a été utile), il importe maintenant de ne rester bloqué dans cette réponse, de ne pas croire que nous sommes cela, de les remercier, et d’apprendre à cultiver d’autres réponses, qui sont plus au service de qui nous sommes en tant qu’adulte réémergé de nos souffrances. Les pratiques qui lient le mental, les émotions et le corps sont d’une grande utilité à cet instant : Life/Art Process, danse thérapie, ou thérapies qui engagent le vécu corporel, notamment via les émotions. Les émotions sont alors comme une balise, un gps pour nous indiquer le chemin entre le corps et le mental et vice-versa.
  5. 5ème étape, qui se fait peu à peu : la peur s’est exprimée, et à ce moment là, il importe de construire de nouvelles habitudes de comportements, physique et mental. Cela se fait en écoutant, ressentant et observant, en étant témoin de notre nouvelle manière d’agir , de notre créativité qui émerge de notre corps, dans une situation où il y aurait les mêmes stimuli. Voir que l’on construit de nouvelles compétences et que notre réponse est de plus en plus adaptée à la situation.  Ici, on pourra citer entre autres comme ressources les pratiques d’éducation somatiques , le Life/Art Process, le systema ( art martial russe dont les réponses sont liées à l’écoute et l’improvisation)  ou les thérapies dans l’ici et maintenant, engageant le corps en lien avec le mental et l’émotionnel comme la gestalt thérapie. C’est la phase où l’on peut aussi essayer, cultiver dans notre corps/esprit une nouvelle manière de répondre en essayant consciemment d’autres chemins, dans des situations où la peur est ressentie mais pas réelle, comme dans un studio de danse. L’occasion d’essayer de nouvelles réponses sans être en danger, comme dans un jeu, avec notre conscience présente et au fur et à mesure devenir de plus confiant.

Toutes ces étapes se font par chevauchements, aller-retours, entremêlements, comme une spirale centripète et se déroulent dans un ordre qui est propre à notre corps, qui porte un vécu singulier.

Cette sortie physique de nos blocages qui propose d’aller rencontrer notre peur peut nécessiter d’être accompagnée. Tout seul, la peur peut nous couper de nous, nous figer. Recevoir de l’attention et de l’amour à l’endroit où nous sommes restés blessés ouvre un écrin pour accueillir la transformation . Être vu(e), être accueilli(e) dans nos vulnérabilités, par quelqu’un avec qui nous sommes dans un cadre dans lequel nous nous sentons en sécurité, est souvent d’un grand soutien et nous permet au delà de nous sentir accueilli, de prendre de la distance, de développer un « témoin intérieur ».  Ici un cadre thérapeutique peut-être soutenant, dans des thérapies qui engagent le corps et l’accueil bienveillant par la présence au cœur, et aussi les pratiques de corégulation (s’offrir d’être vu en échange dans un protocole clair et un cadre équivalent en temps, dans notre mouvement, dans qui nous sommes, un apprentissage de se dire en présence de l’autre, et de voir l’autre tel qu’il est), comme dans la pratique du mouvement authentique, ou la pratique de la réévaluation par la co-écoute.

 

Et puis et puis, prendre conscience que « nous ne sommes pas nos histoires de vie » (voir Deborah Dana, théorie polyvagale, plus bas). Oui notre système nerveux a réagi à ce moment là de cette manière là, car c’est la meilleure manière qu’il a trouvé pour sauver tout le monde, corps et esprit, dans ce moment-là, mais d’autres solutions sont possibles. Bien souvent nous ne les voyons pas, noyés dans nos détresses et nos habitudes, il suffit de laisser l’espace au corps de décharger, de terminer le mouvement, pour que nous entrevoyons d’autres possibilités, pour que nous retrouvions peu à peu la lucidité et notre capacité d’action à partir d’un espace clair et serein, en lien avec notre vécu.

 

« Dans les ténèbres qui m’enserrent,
Noires comme un puits où l’on se noie,
Je rends grâce aux dieux quels qu’ils soient,
Pour mon âme invincible et fière,

Dans de cruelles circonstances,
Je n’ai ni gémi ni pleuré,
Meurtri par cette existence,
Je suis debout bien que blessé,

En ce lieu de colère et de pleurs,
Se profile l’ombre de la mort,
Je ne sais ce que me réserve le sort,
Mais je suis et je resterai sans peur,

Aussi étroit soit le chemin,
Nombreux les châtiments infâmes,
Je suis le maître de mon destin,
Je suis le capitaine de mon âme. »

Invictus – William Henley

 

Ressources, entre autres et j’en oublie sans doute :

Bibliographiques :

  • Janet Adler  » Vers un corps conscient, la discipline du mouvement authentique », éditions Contredanse
  • Bonnie Bainbrige Cohen  » Sentir, ressentir, agir », éditions Contredanse
  • Ouvrage collectif  » de l’une à l’autre, composer, apprendre, et partager en mouvements », éditions Contredanse
  • Daria Halprin  » La force expressive du corps », éditions le Souffle d’Or
  • Peter Levine  » Réveiller le tigre » sur le trauma, éditions InterEditions
  • Laurence Heller/Aline Lapierre  » Guérir les traumatismes du développement », éditions InterEditions
  • article « Théorie polyvagale , guide du débutant« , Deborah Dana
  • Eugene Gendlin  » le focusing, au centre de soi », éditions de l’Homme

Pratiques :

Autres :

 

N’hésitez pas à laisser vos commentaires ou à me contacter pour en discuter ou si vous avez envie d’expérimenter dans une séance individuelle.

Post-confinement : de l’indispensabilité de quitter la peur, le corps comme mémoire et comme ressource pour retrouver son pouvoir.

Quitter la peur, voilà un bon moment que je suis avec ce thème que j’explore sous l’angle émotionnel, corporel, des histoires personnelles et des traumas petits ou ou grands, des relations et de l’organisation de la société.

Envie de partager sur ce thème en ce moment où la peur s’invite : parce que nos repères sont bousculés, parce que nous vivons des situations anxiogènes dans ce confinement qui nous prive de notre liberté de mouvement et de contact, parce que certains vivent l’isolement, d’autres la violence banale, psychique ou physique, d’autres le deuil, ou d’autres encore sont plus exposés à un danger,  mais aussi parce que l’avenir est incertain, que ce soit à court terme ou à long terme….

Et puis parce qu’en situation de peur, nous sommes vulnérables. Et en situation de vulnérabilité, nous pouvons être pris dans la confusion, voire dans la sidération, et en situation de confusion et de sidération, alors nous sommes très facilement « disponibles » pour être victimes d’abus de pouvoir. ( en témoigne le très bon documentaire « la stratégie du choc » de Naomi Klein sur les prises de pouvoir totalitaires suite à des chocs nationaux quels qu’ils soient).

Je pense à l’après confinement. Quelle capacité aurons-nous à agir, individuellement et collectivement? Il me semble urgent et indispensable d’avoir l’esprit clair et toute la disponibilité pour construire un monde résilient et rester lucide sur les dynamiques de pouvoir en place dans nos systèmes d’organisations. Et pour cela, il nous faudra quitter les peurs qui nous habitent. Non, non, ne pas les oublier, les cacher, les ranger au fond d’un tiroir, ou les surmonter par notre volonté, mais bel et bien aller les voir, les rencontrer, ouvrir les yeux, face à elles, trouver l’espace de les accueillir,  de les chérir amoureusement, de dire, d’exprimer, pour pouvoir les vivre afin qu’elles se transforment. Les vivre dans notre chair, les sentir dans nos corps, pour qu’elles se dissolvent et ainsi n’encombrent pas nos pensées, nos ressentis et nous laisse toute notre capacité d’action.

Mais comment faire? D’abord, quelques explications du fonctionnement de la peur.

La peur est déclenchée par un danger. Elle peut être générée par une situation immédiate de danger dans le présent (par exemple un accident, une chute, une attaque) où tous nos sens se mettent à l’affut, et nos organes vitaux en fonctionnement optimal pour agir au plus vite,  ou par une sensation de danger. Cette sensation de danger, plus diffuse, peut être provoquée par ce qui est dans le présent (par exemple : j’entre dans une pièce, et je sens mon cœur s’accélérer, la chaleur qui monte et un sentiment de malaise), mais aussi par l‘imaginaire, la mémoire, la pensée.. (on a tous eu peur d’une araignée, et pensé qu’elle mesurait 10 cm quand elle en mesurait 1, ou encore certaines situations comme marcher la nuit seul, se retrouver face à certaines personnes qui inconsciemment nous rappelle des situations anciennes déjà vécues : sans qu’on puisse l’identifier, on se sent que quelque chose ne tourne pas rond..).

C’est là où nous pouvons agir : la plupart d’entre nous avons gardé en nous un certains nombre de peurs, sans le savoir, et sans même le sentir. Et cela nous met des ornières, nous empêche de voir la réalité (et donc le danger) telle qu’elle est vraiment. La plupart d’entre nous agissons dans un référentiel qui est emprunt de peur, qui crée des comportements rigides pour rester en sécurité et cela limite notre action dans le monde. En effet, les systèmes dans lesquels nous évoluons depuis petits sont des systèmes construits sur l’autorité et non sur la coopération, que ce soit l’école, les institutions ou le modèle parental en général. L’autorité est basée sur un pouvoir qui n’est partagé, ou pas équitablement. Dans cette autorité, on apprend les chemins de  » ce qu’il faut faire », et non de ce que l’on sent, de ce que l’on pressent, de notre pensée singulière ou de action propre. Et c’est la peur qui s’invite : peur de déplaire, peur de ne pas convenir, peur d’être différent, peur de ne pas avoir ce qu’il faut pour survivre (amour et subsistance) si l’on ne suit pas le chemin proposé, peur des représailles physiques ou psychiques dans certains cas.

Alors comment faire pour quitter ces peurs?

En cas de peur, c’est le même phénomène qui s’enclenche dans notre corps. C’est notre corps qui décide en premier lieu, l’information va direct activer le système nerveux sans passer par la réflexion car il faut agir vite. L’être humain utilise quatre chemins possibles pour réagir face à un danger, tous issus de l’évolution phylogénétique.

En tant qu’humain, animal social, et dernière évolution phylogénétique en cas de peur, nous allons d’abord « négocier« ,  trouver une solution avec ce qui nous fait peur. Cela est possible en utilisant notre cortex, notre raison et agissant à partir d’un endroit de sécurité intérieure. Cela n’est pas possible en général, avec un système ou dans le cas d’un pouvoir qui n’est pas équitablement réparti.

En second , si négocier ne fonctionne pas, on va combattre. L’énergie va monter, le sang affluer dans les muscles, grâce à un système bien combiné système nerveux, système hormonal qui vont envoyer toutes les informations dans notre corps, en ne passant pas par le cortex. Cette énergie est un puissant catalyseur pour l’action. Dans notre société, en tant qu’enfant, cette énergie est qualifiée de colère, et est souvent peu reçues : « il/elle est colérique », alors que c’est juste la puissance de l’expression de soi qui prend le chemin de l’expression et qui est en train d’apprendre les limites de soi et l’altérité, pour aller vers la solution de la négociation. Ce mouvement arrêté, les enfants choisiront les solutions suivantes. En tant qu’adulte, nous gardons la trace de ces mouvements de défense de notre territoire non résolu dans notre corps, si la réponse qui n’a pas pu se terminer, sous la forme première ou sous une autre forme d’expression plus appropriée ou dans un autre contexte sécurisé (jeu, thérapie, sport, conscience…)

Si combattre est inenvisageable ( si je suis par exemple face à un lion, ou à un adulte ou un système qui a plus de pouvoir que moi), alors on va prendre ses jambes à son cou et fuir. A ce moment là, de la même manière, le sang est amené au cœur et aux muscles pour courir 3 fois plus vite que d’habitude.  En étant enfant, fuir de chez soi est improductif puisque nous avons besoin des adultes pour survivre. Par la-même, notre corps garde en mémoire ces moments, où de peur ( d’être grondé, de ne pas être accueilli…) nous n’avons pas pu fuir, et la peur reste stockée.

Et puis, si fuir est inenvisageable, alors l‘ultime solution est de se couper de ses sensations. Ne plus sentir, faire le mort, se figer. Là, la mémoire nous fait alors défaut, c’est pour cette raison que des victimes de violence ne s’en rappellent plus, mais le corps lui se souvient, les informations nerveuses , les toutes premières, qui ont détecté le danger sont toujours là, le cerveau limbique a bien retenu l’expérience, mais notre cortex ne l’a pas amené à la conscience . Le corps n’a pas pu engager une réponse en action, alors l’information reste en mémoire dans les tissus, jusqu’au moment où elle a l’espace pour s’exprimer,  et où le cortex en prend conscience.

Et c’est là, dans ce figement, dans cette coupure de nos sensations, nous perdons notre pouvoir, notre puissance. Et rentrons dans un cercle vicieux : je ne sens pas, donc j’exprime de moins en moins qui je suis, donc je sens de moins en moins… Adulte, nous gardons ces peurs d’enfant liées au fonctionnement sociétal, si nous ne les avons pas déchargées par le corps et mises en lumière, en les laissant s’exprimer dans des endroits où nous avons pu les sentir et les laisser se transformer en sécurité, que ce soit en thérapie, en cours d’art martial, en dansant, en dessinant, en retraite…

Comme ces peurs ne sont pas conscientes, puisqu’elles sont au niveau du système limbique si nous n’y prêtons pas attention, nous ne voyons pas que notre périmètre se rétrécit, jusqu’au jour où, peut-être nous nous sentirons trop à l’étroit, jour qui n’arrivera peut être jamais selon le degré de sidération dans lequel nous nous trouvons.

Apprendre à sentir, là est la clé. Sentir le corps pour laisser se transformer, sentir les émotions, comme une boussole qui nous indique ce qui est présent, et voir les croyances qui s’y sont construites. Peu à peu, pas à pas, et laisser le corps terminer les mouvements de réponse aux situations de peur qu’il a gardé en mémoire se terminer, dans des espaces sécurisés, par l’expression et le mouvement, pour retrouver un champ attentionnel plus vaste. Ré-élargir nos points de vue.

Alors que se passe-t-il dans cette période de confinement? Chacun avec ses peurs. Le besoin primaire de contact, de toucher, qui nous nourrit, qui nous régule, qui donne ne sens de nous même mais aussi le sens de l’autre, est mis à mal. Ce contact, cette proximité, cette chaleur humaine qui nourrit le soi et l’altérité. Notre confiance dans la stabilité, dans l’abondance pour maintenant et pour le futur, questionnée. Et bien d’autres peurs encore.

Chacun avec ses peurs, et si nous les laissons nous amener dans le figement, dans la sidération, nous sommes perdus.

Osons sentir ce qui nous traverse, osons trouver du soutien quand nous en avons besoin, une oreille, un réconfort, un câlin (pour ceux qui sont confinés à plusieurs). Osons nous exprimer, en mots, en mouvement, en créativité, pour que ce figement ne reste pas à figement et se transforme en mouvement, seul moyen de libérer nos tissus et notre système nerveux de la peur qui nous a traversée. Osons dire et partager nos vulnérabilités, pour partager notre humanité.
Et alors seulement là, nous serons capable de clarté, de lucidité, d’action, de prendre en charge notre vie, de prendre notre pouvoir et construire un monde qui respecte toute forme de vie, à l’image de la manière dont nous respectons la vie à l’intérieur de nous-même.

 

Pour plus d’info sur la résolution des peurs et des traumas petits et grands, voir notamment « Réveiller le tigre » de Peter Levine, et la Somatic Experiencing.

Corps, discernement et politique : réflexions et ressources

Pendant ce confinement,confinée en solo et sans travail ni enfants à m’occuper, et en attente de la suite remise à plus tard, j’ai tout le temps de prendre le temps. Le temps de ne rien faire, ne pas être productive, le temps d’être avec moi, même si ça fait déjà plusieurs années que je suis déjà en train d’organiser mon temps, ma vie, mon « travail » dans cette direction.

Et en même temps que cet espace qui prend des airs de retraite dansée et sensorielle, à base d’explorations dansées en nature, d’exploration du système nerveux en mouvement et en lectures, de yoga du matin, de pratiques de respiration, d’écriture, de marche, d’observation de la nature en me laissant happer par un ver de terre ou un hérisson… une saine et vivante révolte se lève en moi : quelle forme prend ma contribution dans ce monde dont je vois tant les dysfonctionnements? Comment puis-je continuer à nourrir ce qui me semble contribuer au vivant, ET dénoncer, démonter, transformer ce qui ne prend pas soin du vivant? En moi, et dans le monde, en même temps? Je vis en ce moment qu’étant au plus proche de moi, chaque jour s’invite un peu plus de discernement sur mon vécu, et sur le monde plus large dans lequel nous vivons.

Mon corps-esprit, ce territoire qui me permet de « sentir, de ressentir, d’agir », comme le nomme si clairement Bonnie Bainbridge Cohen, (qui a développé la pratique du Body Mind Centering). Celui qui me permet d’être à l’écoute de ce qu’il se passe en moi, de donner forme à mes aspirations, de les mettre dans la matière, de dire oui au vivant qui se manifeste en moi, et de dire non à ce qui ne me convient pas, à ce qui injuste, quand je le vis, que ce soit en étant directement concernée ou témoin.

Dire oui au respect du vivant,  au pouvoir de chacun respectant celui de l’autre. Prendre son pouvoir sans prendre le pouvoir, à l’instar de nombreuses pratiques ou manière d’être au monde dans des champs différents qu’ils soient éducatifs, potagers ou décisionnels, je pense à la permaculture, à une parentalité engagée et positive, aux écoles démocratiques, à la sociocratie, aux entreprises libérées…

Dire non aux injustices, non aux prises de pouvoir, voilà ma révolte. Que ce soit le sexisme, le racisme, les violences verbales ou physiques vers les enfants, les lobbys pharmaceutiques, les lobbys agricoles, les violences policières… Mon outil ? mon corps, mes sensations, mon discernement, ma parole, mon action au quotidien et mes projets. En perdant ma connexion à lui, je perds mon ressenti, mon espace, intérieur, ma lucidité, mon pouvoir d’action.

J’entends à l’instant où j’écris cette phrase : « Résister et Aimer à la fois  » (un podcast à soi, charlotte Bien Aimée – le pouvoir des mères).

Alors dans cette dynamique de « résister et aimer », j’avais envie de partager quelques ressources qui en ce moment viennent m’ouvrir les yeux sur la réalité, parfois dure à voir, déconstruire mes croyances, nourrir ma réflexion, puis inspirer mon mouvement, qu’il soit purement expressif dans la danse, ou mis en forme dans le monde, pour nourrir notre discernement, déconstruire les oppressions, s’informer, construire la présence, et l’amour :

 

S’informer, nos corps et nos libertés de vécus et élargir nos points de vue

Nourrir la présence et le discernement :

Et puis tous les jours, faire une, deux, trois ou quatre pauses

et tout simplement, prendre le temps de gouter un inspir, un expir

ou prendre le temps une minute ou deux, de laisser le corps se mettre en mouvement de la manière dont il a envie de de se mettre en mouvement, sans jugement.

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Comment notre vie se transforme

« Il y a dans la nature quelque chose qui compose des tracés. Nous aussi, faisant partie de la nature, nous composons des tracés. L’esprit est comme le vent et le corps comme le sable; si vous voulez savoir comment souffle le vent, vous pouvez regarder le sable » (Bonnie Bainbridge Cohen in « Sentir, ressentir, agir » 1993)

J’aime comme cette citation nous rappelle simplement le lien inséparable entre corps et « esprit » ( entendons par esprit le « mind » anglais, quelque chose entre l’esprit, la pensée, l’état d’esprit qui n’offre pas de traduction en français.

J’aime comme cette citation nous invite à simplement aller à l’écoute de son corps pour modifier sa vie. Et inversement. Ce n’est qu’une danse d’écoute entre nous-même et nous-même.

Pour aller plus loin, dans mon expérience, ce n’est qu’en allant à la rencontre de mon corps par l’écoute des sensations et le mouvement qui en découle, en accueillant, observant et en laissant vivre (dans des contextes qui le permettent) les émotions qui restent malgré nous ancrées dans le corps, en observant mes pensées, mes imaginaires, en écoutant mes intuitions qui me guident vers l’écoute de ces champs précédents et vers des espaces d’intériorité où s’expriment toujours plus la vie, que je trouve la transformation profonde.

Et là, il suffit de laisser faire, il suffit de l’espace vide, du rien, pour laisser le corps faire son travail d’intégration. Parfois marcher, parfois danser en laissant le mouvement libre et à son rythme, se laisser dessiner, parfois juste observer la nature… S’offrir le temps de cet espace du vide pour laisser intégrer et laisser émerger la forme issue de cette transformation.

Alors bien sûr, ce n’est pas toujours évident de pouvoir accueillir. Par manque de temps, dans notre société où nous courrons après le temps. Et puis parfois nous ne le pouvons pas car cela nous met trop en insécurité. Parfois cela nous coupe de nos sensations. Et notre tête imagine toutes sortes d’interprétations, certainement justes ou parfois projectives. Alors accueillons cet endroit là, qui nous coupe de nos sensations, car il nous protège.  Et puis retournons à nos sensations physiques. Calinons-nous et offrons nous de la douceur dans cet accueil:)

Et pour terminer un poème de Rumi :

« L’être humain est un lieu d’accueil,
Chaque matin un nouvel arrivant.

Une joie, une déprime, une bassesse,
Une prise de conscience momentanée arrivent
Tel un visiteur inattendu.

Accueille-les, divertis-les tous
Même s’il s’agit d’une foule de regrets
Qui d’un seul coup balaye ta maison
Et la vide de tous ses biens.

Chaque hôte, quel qu’il soit, traite-le avec respect,
Peut-être te prépare-t-il
A de nouveaux ravissements.

Les noires pensées, la honte, la malveillance
Rencontre-les à la porte en riant
Et invite-les à entrer.

Sois reconnaissant envers celui qui arrive
Quel qu’il soit,
Car chacun est envoyé comme un guide de l’au-delà. »

Djalâl ad-Dîn Rûmî
1207 – 1273

Manuel à destination de ceux qui se sentent différents et qui ne savent pas pourquoi

Pour ceux qui se sentent différents et qui ne savent pas pourquoi, ou ne savent pas comment faire, pour ceux qui n’ont pas confiance en eux, pour ceux qui se sentent zèbres, pour ceux qui se sentent vulnérables de cette différence, pour ceux qui se sentent hypersensibles…

… voici un manuel en mode BD qui donne des clés de fonctionnement et des ressources pour s’y retrouver et avoir plus de confiance en soi.

Quelques témoignages spontanés de lectrices/lecteurs : « Une vraie mine d’or! », « à la fois simple et d’une grande richesse », « entre hilarement et soulagement », « simple, clair, synthétique, efficace, juste, c’est EXTRAORDINAIRE ! MILLE MERCIS. »

En voici les quelques pages du début, il n’est actuellement plus disponible à la vente, le stock édité étant épuisé.

NB : J’utilise les termes de zèbres ou haut potentiel, comme une  moyen de reconnaitre un fonctionnement, et en même temps dans une manière ouverte avec des frontières qui sont poreuses  et des formes multiples, liées à la singularité de l’expression du vivant de chacun.  Merci de ne pas prendre ces « cases » comme une logique enfermante mais plutot  comme un élément de lecture et décryptage pour nommer, avant peut-être aller explorer plus loin ou ailleurs.

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La compréhension passe par le corps

Pourquoi passer par le jeu ludique pour apprendre à être et faire ensemble?

Dès le plus jeune âge, c’est par le corps que nous apprenons : c’est par le fait d’être porté que nous appréhendons la gravité, c’est par l’intérêt de ce qui se passe devant nos yeux que nous nous levons, c’est en répétant, répétant et répétant dans notre corps les actions (attraper avec sa main, marcher, puis  plus grand se laver les dents..) qu’elles deviennent automatiques et faciles à réaliser. C’est comme cela que nous créons nos habitudes de fonctionnement, dans notre tête et dans notre corps. Et la bonne nouvelle, c’est que si elles ne nous conviennent plus, nous pouvons les changer!

Dès 1937, Mabel Todd, qui étudiait les postures à travers la mécanique du corps, énonçait, dans son ouvrage Le Corps Pensant : « Souvent, le corps traduit ce que la langue refuse d’énoncer. Ce n’est qu’en comprenant comment les matériaux du corps réagissent aux forces de la vie que nous pourrons mieux nous adapter à elles dans la pensées. Changer d’attitudes corporelles est une manière de changer d’attitudes mentales. Et inversement. S’engager dans de tels changements ouvre la voie à une plus grande liberté d’action et une meilleure protection du vivant ».

Ainsi, notre corps et notre fonctionnement mental, émotionnel sont intimement liés.  Petit test : si assis, vous laisser vos épaules tomber vers l’avant et votre dos s’affaisser, comment vous sentez vous?

Et si maintenant, toujours assis, vous laissez votre bassin se détendre sur votre chaise, et vous réouvrez légèrement vos épaules vers l’arrière, et relevez doucement la tête et le dos droits, dans l’alignement du bassin?. Voyez-vous une différence? une différence physique, mais aussi une différence d’état  d’esprit? d’ambiance émotionnelle?

Après ce petit test, nous pouvons voir combien nos habitudes physiques et nos habitudes de vie, de posture face à la vie sont liées. il n’y a pas de bonne ou mauvaise posture, il y a celle qui est adaptée, ajustée, à l’être que l’on est maintenant, et celle que l’on peut (ré)apprendre et qui va nous permettre de nouvelles possibilités.

C’est ainsi que dans l’apprentissage, celui qui engage tout l’être (jeu, sport, mouvement, jeu de rôle) permet une meilleure intégration, car par l’expérience, le corps peut sentir, ressentir  de nouveaux chemins, de nouvelles possibilités, et ainsi ouvrir la voie à de nouvelles manières d’agir et d’interagir.